Points saillants
- La situation du marché de l’emploi s’est améliorée depuis la fin de 2015, bien qu’on observe des écarts régionaux quant aux taux de chômage et d’emploi à temps plein.
- Dans les régions où le Nouveau Parti démocratique (NPD) talonnait le Parti libéral du Canada (PLC) en 2015, essentiellement au Québec et en Colombie-Britannique, on constate une nette amélioration de l’emploi. Les gains sont plus modestes dans les régions que les libéraux ont remportées haut la main ou se sont partagées avec le Parti conservateur (PC), alors que les régions acquises aux conservateurs sont à la traîne.
- Par conséquent, les électeurs n’ont pas tous la même perception du marché du travail. On peut s’attendre à une vision optimiste des perspectives d’emploi dans les régions où le NPD et le Bloc québécois (BQ) ont enregistré de bons résultats aux dernières élections, alors que les électeurs des régions libérales et conservatrices pourraient se montrer plus pessimistes.
Une répartition inégale des gains en emploi entre les régions
En cette année électorale, le marché canadien de l’emploi se porte généralement mieux qu’en 2015. En effet, le taux de chômage au pays a chuté au plus bas depuis des décennies, et de plus, le taux d’emploi chez les personnes dans la force de l’âge, c’est-à-dire de 15 à 64 ans, vient d’atteindre son plus haut sommet à ce jour. L’emploi et l’économie étant comme toujours au cœur des préoccupations des électeurs, comment la tendance va-t-elle se traduire dans les urnes?
On s’attend à des différences entre les régions. En effet, le regain du marché de l’emploi ces dernières années se concentre dans certaines régions électorales, en particulier celles où le NPD ou le Bloc québécois ont chauffé les libéraux aux dernières élections, soit essentiellement au Québec et en Colombie-Britannique. On observe des améliorations plus modestes dans les régions que les libéraux ont remportées haut la main ou se sont partagées avec les conservateurs, notamment l’Ontario et le Canada atlantique. Enfin, les régions acquises aux conservateurs que sont l’Alberta et la Saskatchewan sont à la traîne, durement frappées par la crise pétrolière.
Les différences régionales en matière d’emploi pourraient influencer le vote. La situation de l’emploi risque d’avoir un effet déterminant sur la popularité du PLC sortant, qui défend des sièges dans toutes les provinces. Le parti pourrait jouir d’un certain avantage au Québec et en Colombie-Britannique, où le NPD et le Bloc québécois avaient fait des percées en 2015, et perdre des sièges ailleurs.
Par ailleurs, il est possible que l’amélioration relative de la situation de l’emploi dans la plupart des régions conduise les électeurs à tourner leur attention vers d’autres enjeux, notamment le coût de la vie (lui-même lié à la croissance des salaires) et l’environnement. Quoi qu’il en soit, la lutte s’annonce serrée. Les résultats du dépouillement des urnes dans les différentes régions nous diront si le marché de l’emploi a influé sur les choix des électeurs.
Croissance de l’emploi en fonction des résultats des élections de 2015
Il n’est pas aisé d’établir un lien entre la situation de l’emploi et la carte électorale du pays. L’Enquête sur la population active de Statistique Canada fournit des données actuelles sur l’emploi dans 34 régions métropolitaines (où Ottawa et Gatineau sont envisagées séparément), qui renferment toutes plusieurs circonscriptions. Or, ces données ne sont pas assez détaillées pour dresser un portrait de chaque circonscription.
Pour contourner ce problème, nous avons catégorisé les régions métropolitaines et non métropolitaines dans chaque province en fonction des résultats des dernières élections dans les circonscriptions qu’elles renferment (voir la méthodologie). Les régions où un parti a remporté au moins les trois quarts des circonscriptions sont associées à ce parti, par exemple Toronto au PLC (où celui-ci a gagné 89 % des comtés) et Calgary aux PC (où ce dernier a fini premier dans 82 % des circonscriptions). Les autres régions sont classées selon les deux partis ayant remporté le plus de sièges. C’est le cas de Vancouver, classée PLC-NPD (63 % des comtés pour les libéraux, 25 % pour les néodémocrates), et de la région non métropolitaine de l’Ontario, classée PLC-PC (63 % des comtés aux conservateurs, 25 % aux libéraux). Vu leurs similitudes, les régions partagées entre le PLC et soit le NPD, soit le Bloc québécois sont réunies dans un même groupe. La plupart des Canadiens vivent dans une région où les libéraux, qui forment la majorité parlementaire, ont fait élire des députés aux dernières élections.
L’amélioration du marché de l’emploi se concentre dans les régions où le NPD a fait des percées
On observe un regain évident de l’emploi depuis la fin de 2015 dans les régions où le NPD et le Bloc québécois ont obtenu de bons résultats aux élections, comme Vancouver et Montréal, selon plusieurs indicateurs. En août dernier, le taux moyen de chômage sur douze mois dans les régions PLC-NPD/BQ avait perdu 2,1 points de pourcentage par rapport à décembre 2015, et on observe un déclin semblable dans les autres régions où le NPD a fait d’importants gains. Les régions que les libéraux ont remportées haut la main ou se sont partagées avec les conservateurs affichent aussi des progrès, mais dans une moindre mesure (baisses avoisinant 1 point de pourcentage). Dans les régions dominées par les conservateurs, le taux de chômage a légèrement augmenté.
La même tendance se dégage lorsqu’on observe la proportion de Canadiens de 25 à 54 ans (dans la force de l’âge) qui occupent un emploi à temps plein. Cet indicateur est complémentaire au taux de chômage en ce qu’il n’est pas influencé par les départs à la retraite et les variations des emplois à temps partiel.
Dans les régions PLC-NPD/BQ, le taux d’emploi à temps plein a bondi de 3,4 points de pourcentage depuis la fin de 2015, atteignant un niveau record, comparativement à 1,3 et 1,4 points de pourcentage respectivement dans les régions étiquetées PLC et PLC-PC. Le taux d’emploi des personnes dans la force de l’âge dans les régions conservatrices a très peu augmenté, mais reste le plus élevé au Canada, compte tenu de la proportion élevée de la population active.
Si le marché de l’emploi suit la tendance associée au bloc politique dans la plupart des régions, on relève quelques exceptions. Bien qu’elles soient classées libérales ou libérales-conservatrices, les régions métropolitaines de l’est de l’Ontario comme Ottawa, Kingston et Peterborough affichent une nette amélioration, contrairement à d’autres villes à l’ouest de Toronto, comme Guelph et St. Catharines-Niagara, qui sont à la traîne. Même constat à Winnipeg. Québec se démarque des autres régions conservatrices, affichant d’importants gains comme le reste de la province.
Une croissance plus marquée là où les libéraux se partagent les sièges avec les néodémocrates ou les bloquistes
Quels sont les emplois qui ont le vent en poupe au pays? Depuis la période qui a précédé les dernières élections, la croissance de l’emploi concerne principalement les emplois de cols blancs à salaire moyen et élevé. Parallèlement, les emplois peu rémunérés, comme ceux d’ouvriers ou de commis administratifs, perdent du terrain. Cette tendance se dégage clairement partout au pays, comme en témoigne la chute du taux d’emploi dans les postes peu rémunérés par rapport aux autres professions dans toutes les régions entre 2015 et 2018 (les régions NPD et autre sont exclues en raison de la petite taille de l’échantillon).
Par ailleurs, la croissance de l’emploi dans les catégories à salaire moyen et élevé montre plus de variations. Dans les régions étiquettées PLC, la croissance est attribuable aux emplois à salaire élevé, en particulier à Toronto, alors que dans les régions PLC-PC et PC respectivement, ce sont plutôt les emplois à salaire moyen qui stimulent la croissance.
La croissance est plus marquée là où les libéraux se partagent les sièges avec les néodémocrates ou les bloquistes. Dans ces régions, on observe une hausse du taux d’emploi à salaire élevé similaire à celle des régions libérales et conservatrices, mais surtout une nette augmentation des emplois à salaire moyen, bien supérieure à celle des autres régions. Par ailleurs, le recul des emplois peu rémunérés y est moins marqué que dans les régions libérales ou conservatrices.
Dans les régions PLC-NPD/BQ, les trois catégories de rémunération sont représentées parmi les groupes professionnels contribuant le plus à la croissance de l’emploi, notamment les postes administratifs à salaire moyen, les rôles professionnels à salaire élevé dans les affaires et la finance, et les postes de service à la clientèle peu rémunérés. Ces trois catégories d’emploi ont sans doute contribué à la croissance de l’emploi dans les secteurs de la finance, de l’assurance et de l’immobilier, qui a été plus forte qu’ailleurs dans ces régions.
En somme, il semblerait que le regain de l’emploi soit plus marqué dans les régions où le PLC se partage les comtés avec le NPD ou le Bloc québécois, en partie parce que les possibilités d’emploi sont plus larges, surtout pour les personnes moins scolarisées. Ainsi, le taux d’emploi parmi les adultes dans la force de l’âge sans diplôme d’études supérieures a augmenté davantage en Colombie-Britannique et au Québec qu’en Ontario et en Alberta depuis la fin de 2015.
Les électeurs se soucient probablement moins de l’emploi dans certaines régions que dans d’autres
Le marché de l’emploi n’est qu’un des nombreux facteurs qui pèsent sur le choix des électeurs. Nous pourrons néanmoins mesurer son influence en analysant les changements sur la carte des résultats électoraux. Ce sont la Colombie-Britannique et le Québec qui ont le plus bénéficié du regain de l’emploi depuis 2015. Si les libéraux remportent plus de sièges dans ces provinces qu’ailleurs au pays, nous pourrons présumer que l’emploi y est pour quelque chose. Dans les autres provinces, les électeurs exprimeront peut-être leur insatisfaction de la situation.
Méthodologie
Nous avons analysé l’évolution du marché de l’emploi en fonction de la carte électorale du Canada en regroupant des régions métropolitaines et non métropolitaines d’après les résultats des élections de 2015 dans les circonscriptions qu’elles renferment, définies selon les fichiers des limites de Statistique Canada. Les circonscriptions qui dépassent les limites des régions métropolitaines ont été classées selon le jugement des analystes. Nous avons préféré les régions métropolitaines et non métropolitaines aux régions économiques, parce que Statistique Canada fournit plus de données démographiques sur ces régions dans son Enquête sur la population active (EPA).
Les régions où un parti a remporté au moins les trois quarts des circonscriptions sont associées à ce parti. Les autres régions sont classées selon les deux partis ayant remporté le plus de sièges. En raison de la taille relativement petite de leur population, les régions ayant massivement voté pour le NPD sont regroupées avec celles où le ce parti se partage les sièges avec le Parti vert, le Bloc québécois ou les conservateurs. Le tableau ci-dessous dresse la liste des régions métropolitaines et non métropolitaines.
** Étant donné que les deuxième et troisième partis ont remporté le même nombre de sièges dans les régions de Regina et de Sherbrooke, nous avons retenu le parti ayant obtenu le plus grand nombre de voix dans chacune de ces régions.
Nous avons ensuite regroupé les données de l’EPA sur la population et l’emploi par groupe politique pour calculer le taux de chômage et le rapport emploi-population dans la force de l’âge (de 25 à 54 ans) pour chaque région. Les résultats représentent les moyennes mobiles sur 12 mois des moyennes trimestrielles non désaisonnalisées publiées par Statistique Canada.
Pour analyser la croissance de l’emploi en fonction de la catégorie salariale dans chaque région, nous avons regroupé les professions des groupes à deux chiffres de la CNP en trois catégories (salaire peu élevé, moyen et élevé) en fonction des salaires moyens payés en 2018 à l’échelle nationale, au moyen d’un processus quantile. Nous présentons l’évolution du rapport emploi-population par catégorie de salaire plutôt que le taux brut de croissance de l’emploi pour éviter de confondre l’effet de la croissance démographique sur la croissance de l’emploi.