Principaux enseignements

  • Malgré une reprise dynamique des recrutements depuis la mi-2020, la part des métiers industriels dans l’ensemble des offres d’emploi recule de 16 %, tandis que celle des métiers scientifiques et de l’informatique recule de 13 % ;
  • Les métiers de la santé progressent en revanche fortement, tout comme les services au public et à la personne ou l’hôtellerie-restauration ;
  • La France est le seul pays développé à enregistrer une telle déformation de la répartition des offres d’emploi en défaveur des métiers de l’innovation, ce qui pose la question de la compétitivité du pays à long terme.

Une reprise globale des recrutements moins forte que dans les autres pays

Reflet du dynamisme du marché du travail, le volume global d’offres d’emploi sur Indeed France était, en avril 2022, 40 % au-dessus de son niveau du 1er février 2020. Cependant, dans la plupart des pays développés et notamment anglo-saxons, les projets de recrutement des entreprises ont rebondi beaucoup plus vite qu’en France. La flexibilité du marché du travail permet en effet aux entreprises de ces pays de recruter plus facilement. L’Allemagne, déjà au plein emploi avant la crise, et l’Italie, qui a profondément réformé son marché du travail, bénéficient aussi d’une reprise plus dynamique (+ 55 % et + 60 % d’offres d’emploi en volume respectivement). Parmi les grands pays européens, seule l’Espagne, qui souffre d’un chômage endémique, se classe derrière la France.

Au-delà de l’évolution globale, les offres dans certains métiers ont crû beaucoup plus rapidement que la moyenne et leur poids sur le marché du recrutement s’est mécaniquement renforcé, au détriment d’autres types de postes.

L’industrie et la « tech » françaises à la peine

En France, les quatre grandes familles de métiers qui gagnent en importance dans l’ensemble des offres d’emploi appartiennent aux services. L’éducation et la formation gagnent 4 %. Les fonctions administratives, le marketing et les ressources humaines progressent de 9 %. La catégorie très large comprenant les services à la personne et au public, l’hôtellerie-restauration et le divertissement, majoritairement constituée d’emplois rémunérés aux environs du salaire minimum, progresse de 15 %. Seul le Luxembourg enregistre une progression plus importante de ces métiers (+17 %). Enfin, la France est le pays pour lequel la part de la santé dans l’ensemble des offres d’emploi a le plus augmenté, avec + 55 % depuis février 2020. 

Toutes les leçons de la pandémie n’ont cependant pas été tirées : les métiers de la santé mentionnés précédemment ne comprennent pas ceux de l’industrie pharmaceutique ni les dispositifs médicaux. Et pour cause : parmi les métiers dont l’importance diminue, les métiers industriels sont ceux qui perdent le plus de terrain dans l’ensemble des offres. Ces métiers s’articulent autour de l’ingénierie et de la production et regroupent des postes variés d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers qualifiés et non qualifiés. Les plus fréquents sur Indeed France sont les agents de production, les ingénieurs, les opérateurs de production, les conducteurs de ligne et les soudeurs. La part de ces métiers dans le total recule de 16 % par rapport au 1er février 2020. Le phénomène est structurel et propre au marché du travail français. En Allemagne, malgré une économie très dépendante des importations énergétiques russes et des chaînes d’approvisionnement mondiales, la part des métiers industriels dans l’ensemble des offres d’emploi est stable depuis deux ans. Au Royaume-Uni, où les difficultés d’approvisionnement ont été exacerbées par le Brexit, le poids des métiers industriels s’accroît de plus de 4 %. 

La France perd en qualité de l’emploi

Le constat est similaire pour les métiers de l’informatique, des sciences et des données, avec le deuxième recul le plus important (- 13 %). Il s’agit principalement de postes de développeurs, d’administrateurs système, d’ingénieurs, de techniciens ou de « data scientists ». Dans ce domaine, la France fait mieux que l’Italie (- 19 %) ou que le Luxembourg (- 26 %). Le Royaume-Uni, qui subit pourtant les conséquences du Brexit (le poids de la finance, de l’immobilier et des services juridiques y chute de 25 %, contre une progression de 4 % pour la France) connaît une baisse de seulement – 9 % sur la période. Aux États-Unis, cette catégorie de métiers affiche une progression sensible de 25 %. L’Espagne, la Belgique, la Suisse et dans une moindre mesure l’Allemagne sont les seuls pays européens parmi ceux étudiés où la part de ces métiers dans les offres d’emploi augmente.

Un phénomène inquiétant pour la productivité des entreprises et la compétitivité du pays, mais aussi pour le pouvoir d’achat

La baisse de la part de ces métiers témoigne de l’affaiblissement des entreprises industrielles et technologiques, au cœur des processus d’innovation qui permettent d’améliorer la productivité des entreprises comme la compétitivité française. Le progrès technique permet en effet d’accroître les marges, bien au-delà des seuls secteurs industriels et technologiques : dans la grande distribution par exemple, la forte concurrence pousse les acteurs à investir massivement dans l’informatisation ou l’automatisation. Dans tous les secteurs, le fort contenu en innovation des produits et des services proposés permet la montée en gamme, synonyme d’atout concurrentiel et de pouvoir de marché. Dans un contexte inflationniste, ces facteurs se conjuguent pour préserver la rentabilité d’une entreprise. 

Le pouvoir d’achat des salariés est aussi concerné. La hausse des prix à la consommation devrait s’établir aux alentours de 4 % pour l’année 2022 d’après la Banque de France. Or les entreprises ont peu de marge de manœuvre pour accorder des augmentations de salaire : avec une croissance de la productivité inférieure à 1 % sur les dernières années, beaucoup seraient obligées de répercuter dans les prix toute hausse des coûts de personnel pour pouvoir maintenir leur effort d’investissement. Malheureusement, la baisse de la part des métiers de l’innovation dans l’ensemble des offres laisse penser que cette contrainte de productivité ne se desserrera pas dans les prochaines années.

Cette diminution du poids des métiers techniques et scientifiques dans les offres d’emploi fait enfin peser une menace très lourde sur la numérisation des entreprises, en particulier des PME, et sur la transition énergétique, qui sera plus difficile à atteindre faute d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers capables de développer les technologies nécessaires. Il est à souhaiter que la recomposition des chaînes de valeur mondiales à la suite de la pandémie de coronavirus et de la guerre en Ukraine débouche sur des créations d’emploi en France et suscite des vocations pour les sciences et les techniques chez les jeunes qui entreront sur le marché du travail dans les années à venir.