Le pire a pour l’instant été évité sur le marché du travail. Malgré le contexte sanitaire, toujours préoccupant, le taux de chômage n’a pas progressé en 2021. Il a même retrouvé son niveau d’avant crise, à 8,1 % au troisième trimestre 2021. sans recul du taux d’activité. Il y a, dans l’ensemble, plus de 24 % d’offres d’emploi en ligne sur Indeed en plus par rapport à février 2020. Elles ont doublé dans certains secteurs, comme les soins personnels et à domicile, les soins infirmiers, la garde d’enfants, ou encore la propreté et l’hygiène. L’intérêt des candidats reste quant à lui mesuré, si l’on en croit l’activité sur Indeed : les taux de clics relatifs par annonce dans ces secteurs accusent un recul par rapport à l’avant crise.

Ces conditions favorables ont permis à la réforme de l’assurance chômage d’entrer pleinement en vigueur le 1er décembre, avec la mise en œuvre de la dégressivité des allocations pour les hauts revenus et le resserrement des conditions d’éligibilité (6 mois en emploi au cours des 24 derniers mois, au lieu de 4 auparavant). L’un des objectifs de la réforme est logiquement d’inciter les demandeurs d’emploi à reprendre le travail plus rapidement, et de les orienter vers les emplois vacants, au nombre de 293 000 au troisième trimestre 2021 selon la Dares – un plus haut depuis que les chiffres sont disponibles (2003). 

Pourtant, il est peu probable que le taux de chômage ne descende durablement en dessous de 7 %. Le marché de l’emploi français se caractérise encore par un mauvais appariement entre l’offre et la demande, en raison d’une faible efficacité des institutions du marché du travail (formation, négociation collective notamment), des barrières à la mobilité géographique et sectorielle encore importantes, ou un coût du travail élevé dans certains secteurs par rapport à l’Allemagne ou au Royaume-Uni, tous deux quasiment au plein emploi. 

Si les dispositifs de soutien aux secteurs en difficulté et le plan de relance continueront à soutenir l’emploi dans les mois qui viennent, ils ne résoudront pas ce problème structurel. Et à plus long terme, ce sont les modalités du retour à l’équilibre budgétaire de la sphère publique (augmentation des prélèvements obligatoires ou baisse des dépenses publiques) et la pertinence de l’investissement des entreprises, qui décideront de la qualité de la reprise. Sur ce dernier point, l’adoption relativement faible du télétravail en France (5,4 % des annonces contre 10,3 % en Allemagne ou 9,3 % au Royaume-Uni en novembre 2021) prouve que beaucoup d’enjeux n’ont pas encore été intégrés. C’est d’autant plus préoccupant que le télétravail s’accompagne d’innovations organisationnelles (investissements dans des logiciels et du matériel, évolution des méthodes de management vers une meilleure prise en compte de la productivité et du résultat) et semble se pérenniser dans les pays où il est le plus répandu, signe que les entreprises y trouvent elles aussi leur compte. Il est aussi un vecteur potentiel de réduction des inégalités territoriales, et permet de s’affranchir des freins à la mobilité que représentent les prix de l’immobilier par exemple.

Dans l’intervalle, les salaires, qui reflètent le rapport de force entre employeurs et salariés, vont probablement augmenter dans les secteurs où la pénurie de main-d’œuvre est la plus sévère, à l’issue des négociations en cours dans différentes branches. Le SMIC a d’ailleurs été revalorisé de 2,2 % le 1er octobre en raison du contexte légèrement inflationniste, ce qui tirera mécaniquement beaucoup de salaires vers le haut (une grosse partie de la distribution des salaires est concentrée au voisinage du SMIC, avec 50 % des salariés gagnant moins de 1940 euros). L’une des particularités de cette crise sur le marché du travail est d’ailleurs d’entraîner la revalorisation beaucoup plus rapide des salaires les moins élevés et cela se vérifiera aussi sans doute en France. Sur Indeed, les offres dans la garde d’enfants, les soins infirmiers ou encore l’hygiène et la propreté affichent déjà des augmentations de salaire sur un an significatives (respectivement +7,2 %, +6,7 % et +3,9 %) comparé à la moyenne des offres (+2,9 %). 

La crise de 2008 avait durablement augmenté le taux de chômage ; la pandémie de 2020 n’aura donc pas cet effet, mais ayons à l’esprit qu’elle pourrait solidifier encore un peu plus l’asymétrie entre l’offre et la demande sur le marché du travail français ou provoquer des changements profonds dans le rapport au travail, avec à la clé des répercussions sur la compétitivité du pays ou le financement du système de protection sociale. Autant de raisons de ne pas trop se réjouir des chiffres actuels et de rester concentrés sur la sortie de crise.