Lorsqu’il s’agit de changement climatique et d’énergies propres, les actes tardent à suivre les bonnes intentions. La mobilité durable (ou écomobilité) est censée représenter une solution de transport propre, durable et modulable pour le 21ème siècle. Les voitures électriques en sont le composant le plus saillant. L’intérêt des consommateurs pour la voiture électrique suggère que celle-ci pourrait en effet bien représenter l’avenir de l’industrie automobile et mettre en danger les constructeurs traditionnels qui n’auront pas su, pu ou voulu investir suffisamment pour se positionner sur le créneau.

Une différence s’esquisse déjà entre l’Allemagne et la France. Traditionnellement un avantage comparatif allemand, l’automobile est outre-Rhin beaucoup plus puissante qu’en France. Cela se traduit notamment par un fort intérêt à la fois des employeurs et des candidats pour la mobilité durable et les technologies y afférentes. Dans le même temps, le niveau des offres d’emploi et des recherches des candidats en France demeure faible : le pays semble développer une vision plus axée sur les infrastructures.

La mobilité durable en Allemagne et en France : le grand écart

Les offres d’emploi pour des postes dans la mobilité durable sont près de dix fois plus nombreux en Allemagne (3 890 offres par million) qu’en France (415 offres par million). Cette différence n’est pas surprenante puisqu’elle doit être rapprochée de l’écart entre le nombre de personnes travaillant dans l’automobile dans les deux pays : 871 000 en Allemagne contre 108 000 en France en 2015, soit un peu plus de huit fois plus d’emplois automobiles en Allemagne.

Nombre d'offres dans la mobilité durable en Allemagne

Le graphique en courbes illustre l’évolution du nombre d’offres en millions, commençant à 100 en juillet 2015. L’axe vertical indique les offres, de 0 à 600 millions en incréments de 100. L’axe horizontal indique les dates, de juillet 2015 à juin 2018. La source des données est Indeed.

Mais au-delà de la différence de masse entre les secteurs industriels des deux pays, l’évolution des offres d’emploi comme celle de l’intérêt des chercheurs d’emploi est différente dans les deux pays. Le constat est ici plus préoccupant pour la France. En Allemagne, le nombre d’offres contenant des termes rattachés à la mobilité durable dans leur intitulé a été multiplié par 8,6 depuis début 2015, alors que le nombre d’offres en France reste beaucoup trop faible pour dégager une quelconque tendance. L’intérêt des chercheurs d’emploi a également connu un intérêt beaucoup plus marqué en Allemagne, puisqu’il a été multiplié par près de 3 entre le premier semestre 2015 et le premier semestre 2018. Dans le même temps, les recherches en France n’ont augmenté que d’environ 25 % sur la période, après être restées plusieurs mois sous leur niveau de juillet 2015.

Intérêt des chercheurs d'emploi pour la mobilité durable

Le graphique en courbes illustre l’évolution de l’intérêt en Allemagne et en France, par million de recherches, commençant à 100 en juillet 2015. L’axe vertical indique les recherches, de 0 à 400 millions en incréments de 50. L’axe horizontal indique les dates, de juillet 2015 à juin 2018. Deux courbes individuelles représentent l’Allemagne et la France. La source des données est Indeed.

Il apparaît donc que les enjeux de mobilité durable sont relativement négligés en France, en premier lieu par les acteurs du secteur automobile.

Un palmarès constructeurs fluctuant

Investir dans l’écomobilité requiert des moyens solides et une vision claire. Beaucoup d’inconnues demeurent. Les véhicules hybrides, qui ont 20 ans d’ancienneté, arrivent seulement à maturité. L’investissement dans la technologie électrique dépend donc beaucoup de la santé du secteur automobile, et de sa capacité à attirer des candidats qualifiés.

Popularité des constructeurs automobiles

Le tableau illustre la croissance des recherches sur 3 ans, entre S1 2015 et S1 2018. En Allemagne, Volvo affiche une croissance de 76,5 %, Renault 59,1 %, Daimler 36,9 %, Hyundai 35,6 % et Ford 30,9 %. En France, Toyota affiche une croissance de 112 %, PSA 81,7 %, Renault 46,6 %, Ford -2,2 % et Daimler -2,3 %. La source des données est Indeed.

La plupart des constructeurs automobiles affichent une popularité fluctuante auprès des candidats dans les deux pays. Cette popularité dépend notamment des annonces publiques, de la stratégie des différents constructeurs, de leur communication de recrutement, mais aussi des affaires courantes. Le scandale des émissions diesel a ainsi eu un très fort retentissement en Allemagne auprès de l’opinion publique, et partant, des candidats. Daimler, BMW et Porsche confortent leur position dominante en Allemagne, avec respectivement 35,3 %, 22,6 % et 17,3 % des recherches au premier semestre 2018. Les recherches pour Porsche et Daimler ont connu une croissance supérieure à 20 % en 3 ans alors que celles pour BMW ont baissé de près de 8 %. Volkswagen et Audi ont tous deux connu de fortes baisses, de 39,5 % et 35,8 % respectivement. En France, c’est Renault qui est incontestablement le plus populaire auprès des candidats, avec 32,7 % de l’ensemble des recherches, en hausse de 46,6 % sur trois ans. Renault-Nissan produit en outre les deux voitures électriques les plus populaires du marché français, la Zoé et la Leaf, et propose également de nombreux véhicules de tourisme et utilitaires de sa gamme en version électrique, dont l’iconique petite Twizy. Daimler, PSA et Toyota arrivent loin derrière sous 10 % chacun des recherches. Les constructeurs allemands bénéficient sans doute de leur très bonne image de marque, de leur effort important d’investissement et, en ce qui concerne Daimler, des annonces concernant la production prochaine en France de véhicules Mercedes électriques. PSA, deuxième constructeur français, représentait au premier semestre 2018 7,6 % des recherches seulement, en très forte hausse sur les trois dernières années. A noter la très forte hausse de Toyota (+ 112,0 % à 6,5 % des recherches), qui possède une usine en France et qui proposera, en plus de sa gamme hybride, un véhicule électrique pour 2020.

Au delà des constructeurs automobiles stricto sensu, les acteurs qui proposent des postes dans la mobilité durable sont plutôt rares. Il s’agit pour l’Allemagne de Bosch Software Innovations, de Mahle et de la start-up Lilium, qui réfléchit à une voiture volante électrique. Pour la France, c’est Alstom qui occupe la première place, suivi de l’entreprise de conseil en solutions de mobilité Wimoov et de l’équipementier Valeo. Il n’y a pas en Europe d’acteur “leader” sur ces problématiques qui soit comparable à Tesla aux Etats-Unis, même si ce dernier traverse en ce moment une phase d’incertitude financière.

La question des infrastructures

Le déploiement des voitures électriques pose aussi la question des infrastructures : bornes de recharge pour les véhicules, parcs de stationnement pour les transports individuels publics (vélos, voitures) et aussi, à termes, routes intelligentes voire plateformes pour des véhicules aériens. Certaines municipalités et groupement de commune en France ont affiché des ambitions dans ce domaine, mais force est de constater que les offres d’emploi ne sont pour l’instant pas vraiment au rendez-vous. Si ces initiatives passeront dans la plupart des cas par des contrats publics (concessions ou partenariats public-privé), certaines collectivités publiques cherchent néanmoins à acquérir des compétences dans ce domaine : c’est le cas par exemple de la métropole de Nice-Côte d’Azur ou de la ville d’Argentan, en Normandie. La France pourrait ainsi consolider son savoir dans les infrastructures en développant des solutions de mobilité durables qui viendraient compléter les fortes compétences des groupes industriels allemand dans l’automobile et l’ingénierie pour constituer un écosystème complet et cohérent à l’échelle européenne.

En raison de leurs points fort dans l’automobile, les entreprises allemandes attirent de plus en plus les candidats intéressés par la mobilité durable. Elles sont également populaire auprès des chercheurs d’emploi français, en raison des initiatives pour l’instant assez timides des acteurs français. La question des infrastructures reste posée, puisque très peu d’offres sont offertes par les collectivités et villes françaises ou allemandes. La Norvège, pionnière en la matière, a ainsi décidé de ralentir le déploiement des voitures électriques en raison de la saturation des bornes de recharge à Oslo, alors que Tesla, en pointe dans la construction de voitures électriques, se heurte à des difficultés financières. Ces premières tendances soulignent surtout qu’en dépit des nombreuses initiatives publiques en faveur de la voiture électrique, leur généralisation sur les routes d’Europe n’interviendra pas avant plusieurs dizaines d’années.