Le salaire est une variable très regardée par les chercheurs d’emploi, tout comme les entreprises qui le fixent le plus souvent. Les salaires doivent être rapprochés de la productivité des salariés et de l’ensemble de l’économie. Lorsqu’ils s’accroissent plus vite que la productivité, les salariés tendent à être “gagnants” par rapport au travail effectivement fourni, alors que dans le cas inverse, ce sont les entreprises qui ont plus de marge pour accroître leur compétitivité. L’objet de ce billet de blog est d’aborder les conséquences macroéconomiques de ces écarts entre salaires et productivité.

Dans sa dernière étude sur les indicateurs de productivité, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) rapproche les évolutions disparates de la productivité de l’évolution des salaires dans les pays développés en fonction des secteurs. Elle insiste cependant sur le fait qu’au sein de l’Union européenne, les secteurs “à l’abri” de la concurrence internationale (comme certains services) ont connu une hausse des coûts salariaux supérieure à la croissance de la productivité. Cela qui conduit l’organisation à alerter sur les potentielles conséquences sur la compétitivité, puisque la plupart des secteurs ont recours aux services du secteur abrité.

En France, la croissance des salaires n’a été que très légèrement supérieure à celle de la productivité sur la période 2000-2016 : le pays se situe donc dans une voie médiane, qui permet d’assurer aux salariés des hausses de salaires tout en évitant une dégradation de la compétitivité du pays. Au sein de la zone euro cependant, d’autres pays affichent de forts écarts de croissance entre productivité et salaires. L’enjeu est alors non seulement celui de la compétitivité des entreprises européennes sur les marchés mondiaux, mais également de la cohésion de la zone euro. En effet, en l’absence du stabilisateur naturel qu’est le taux de change, les pays de la zone euro doivent procéder à des “ajustements réels” (économies budgétaires, baisses des salaires, etc.) s’ils veulent conserver leur compétitivité.

Pourquoi salaire et productivité vont de pair

Même si la satisfaction au travail dépend de nombreux facteurs comme le sentiment d’épanouissement ou le sens et l’utilité du travail accompli, l’un des paramètres les plus observés par les chercheurs d’emploi comme les recruteurs reste le salaire. Conformément à la théorie économique, celui-ci permet de réaliser l’équilibre entre l’offre de travail (proposée par les chercheurs d’emploi) et la demande (proposée par les employeurs). Cependant, le salaire ne peut pas s’ajuster instantanément ou parfaitement dans la réalité, en raison d’un certain nombre de “rigidités” : manque d’information sur les compétences des candidats, salaire minimum, etc. D’où l’apparition du chômage, qui résulte d’une insuffisance de la demande de travail, ou d’un surplus d’offre de travail.

Les déterminants du salaire sont nombreux, mais la plupart des économistes s’accordent pour dire qu’il est lié d’une façon ou d’une autre à la productivité du travail. Très prosaïquement, plus un salarié est productif, plus il aura un salaire élevé. Puisque la productivité est difficile à mesurer, différents signaux servent à signaler une productivité élevée pour faciliter la tâche des recruteurs : l’un des plus connus est sans doute le diplôme, étudiée notamment par les économistes du capital humain G. Becker.

Afin d’être en mesure d’augmenter son niveau de vie et ses revenus, une économie doit donc veiller à augmenter aussi sa productivité pour augmenter son niveau de croissance à long terme, notamment par le biais d’investissements (éducation, infrastructures, robots industriels, etc.). Or les choix effectués par les pays européens sur ce point particulier diffèrent.

Des pays européens qui évoluent en ordre dispersé, la France en position médiane

Les divergences entre salaires et productivité peuvent se traduire par un partage de la valeur ajoutée relativement favorable aux salariés, tant que les employeurs ont les moyens de les payer. Mais cette divergence a aussi un impact sur la compétitivité. Un pays dans lequel les salaires augmentent plus vite que la productivité peut conserver sa compétitivité en dépréciant sa monnaie, évitant ainsi que les prix de ses biens ou services n’augmentent trop. Cependant, les pays de la zone euro n’ont pas cette possibilité. Lorsqu’ils perdent en compétitivité, ils n’ont pas d’autre issue que de réduire les salaires ou d’augmenter la productivité.

Croissance comparée de la productivité et des salaires

Quatre graphiques en courbes comparent la croissance de la productivité et des salaires réels horaires en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni entre 2000 et 2016. La source des données est : OCDE, analyse Indeed.

On observe ainsi au sein de la zone des situations disparates qui permettent d’éclairer les enjeux actuels. En Allemagne, les salaires ont progressé moins vite que la productivité de 2000 à 2009, période au cours de laquelle le pays a mené une politique de modération salariale et a réformé son marché du travail (lois Hartz). En France, les salaires progressent plus vite que la productivité depuis 2000, mais contrairement à l’Italie, la productivité française a augmenté de 15 % par rapport à 2000. Le cas italien semble donc beaucoup plus préoccupant puisque la productivité stagne depuis près de 20 ans dans ce pays où 12 % des encours de crédit (soit 200 Mds€) sont des créances douteuses, alors que les salaires ont augmenté en moyenne de plus de 10 %. Les salaires réels britanniques ont quant à eux chuté à partir de 2010, alors même que la productivité se mettait à stagner.

Croissance comparée de la productivité et des salaires

Trois graphiques en courbes comparent la croissance de la productivité et des salaires réels horaires en Espagne, en Grèce et en Lettonie entre 2000 et 2016. La source des données est : OCDE, analyse Indeed.

En Grèce, la productivité a pris 13 % de 2000 à 2009 alors que les salaires avaient quasiment augmenté de plus de 30 %, mais le pays a été forcé de procéder à un ajustement des salaires à partir de la crise : ils sont aujourd’hui revenus à leur niveau de 2000, ce qui se traduit sur la courbe par une chute brutale après la hausse très importante de 2000-2009. Depuis 2013, la courbe des salaires est quasiment plate. La période récente a donc représenté un effort très important pour les salariés grecs, qui connaissent depuis 2013 une quasi-stagnation de leurs revenus. A l’inverse, l’ajustement très important réalisé en Lettonie a été suivi d’une reprise de la hausse des salaires, ils étaient en 2016 près de 2,6 fois plus élevés qu’en 2000 (contre 2,4 fois à la veille de la crise). La productivité lettone continue cependant de croître, mais à un rythme bien plus faible que les salaires. Enfin, l’Espagne a connu de 2000 à 2006 une phase de stagnation de la productivité et de forte augmentation des salaires (+ 40 %), phénomène dont la bulle immobilière est sans doute emblématique, suivie à de 2009 à 2014 d’une baisse des salaires et d’une reprise de la productivité. Les salaires sont cependant repartis à la hausse en 2013, concomitamment à une pause dans la hausse de la productivité.

Croissance comparée de la productivité et des salaires

Le graphique en courbes illustre la croissance de la productivité et des salaires réels horaires aux États-Unis entre 2000 et 2016. La source des données est : OCDE, analyse Indeed.

Un sujet vital pour la zone euro

Les pays européens se distinguent ainsi des Etats-Unis, où la croissance moyenne des salaires sur la période 2000-2016 reste inférieure à celle de la productivité sur toute la période, même si depuis 2011, les salaires augmentent relativement fortement. Depuis 2000, la productivité américaine a pourtant augmenté de près de 25 %, plus que n’importe quel grand pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie ou Espagne). Cela n’évite pas les économistes d’outre-atlantique de débattre sur les faibles des gains de productivité et la “stagnation séculaire”. Par ailleurs, l’existence de salaires minimums dans la plupart des pays européens, souvent revalorisés automatiquement au-dessus de l’inflation, contribue à pousser à la hausse l’ensemble des salaires. Contrairement aux Etats-Unis, la croissance des salaires dans la majorité des pays européens a donc été supérieure à celle de la productivité sur la période 2000-2016.

Tous ces éléments posent in fine la question de la stabilité et la pérennité de la zone euro. Il n’existe pas de véritable marché du travail européen en raison de la faible mobilité des travailleurs d’un pays à un autre. La zone euro est par ailleurs dépourvue de mécanismes de stabilisation, de redistribution ou de mutualisation des risques. L’équilibre peut ainsi être précaire entre des pays dont la balance des paiements est fortement excédentaire, et ceux qui doivent procéder chaque année à un financement par la dette de leur déficit. Ces derniers doivent en effet procéder aux réformes parfois difficiles qu’exige le maintien dans la zone euro, et qui leur permet justement de bénéficier d’une faible prime de risque sur les marchés financiers. D’où la nécessité de veiller à ce que l’écart de croissance entre productivité et salaire ne diverge pas excessivement entre pays.

En France, l’installation prochaine du Conseil national de la productivité , issu d’une recommandation du Conseil européen de septembre 2016 faite à l’ensemble des membres de la zone euro, rappelle la centralité de l’enjeu pour les politiques publiques et leur coordination en Europe. Elle met en outre l’accent sur la nécessité d’investir pour maintenir la croissance et assurer une amélioration de la productivité dans toute la zone et en particulier dans les pays dits du Sud. La viabilité des systèmes de protection sociale en Europe est en outre concernée : ce sont là des enjeux qui concernent au premier chef les chercheurs d’emploi, en tant qu’agents économiques ou citoyens.